4 – Modernité –
Tournant dans le haïku (1930-45)
4.1
Ashibi et l’arrivée du « Shinkô haiku (Haïku de style nouveau) (1931 -)
Dans les années 30 (début de la période Shôwa) émerge un
autre mouvement innovant qui tend à définir le haïku comme un poème moderne
avec un esprit universel, en opposition au groupe de Kyoshi qui réduisait le haïku à un poème traditionnel, en relation
avec la seule beauté de la nature. Un poète des quatre S, Shûôshi Mizuhara,
évolue vers une opinion différente en matière de haïku, définissant son propre
style subjectif opposé au « kyakkan shasei » ou« kachô
fuei » de Kyoshi.
La revue Ashibi, dirigée par Shûôshi, est à
l’origine affiliée à Hototogisu. Shûôshi publie l’essai
« Vérité dans la Nature et vérité
dans la Littérature », et critique l’insignifiant « kyakkan shasei » de Sujû et
d’autres poètes de Hototogisu. En 1931, Shûôshi se sépare de Hototogisu. Un mouvement
anti tradionnaliste « Shinkô Haiku » voit alors le jour. Suite à cet
incident, Ashibi rompt avec Hototogisu et met l’accent sur une
expression lyrique romantique à travers le « rensaku haiku » (haïku lié), que Shûôshi avait déjà tenté en
1928 dans Hototogisu.
De jeunes poètes comme Sôshû Takaya (1910-1999), Tatsunosuke
Ishibashi (1909-1948), Hakyô Ishida (1913-1969) et Shûson Katô (1905-1993) se rallient
à Ashibi,
et en 1935, Seishi Yamaguchi, autre poète des Quatre S, quitte Hototogisu
pour rejoindre ce groupe.
Attendant le bus
printemps sur la
large avenue
Je n’ai pas de
doute
Hakyô Ishida
Un pigeon sauvage !
Regarde, et tout
autour
la neige tombe
Sôshû Takaya
4.2
« Muki Haiku (Haïku sans saison) avec le mouvement « Shinkô
Haiku » (1930 -)
A l’ère Showa, les idées occidentales pénétrant au Japon ont
un impact presque immédiat sur le haïku, alors que leur effet avait été différé
sur le haïku traditionnel durant l’ère Meiji. De fait, l’individualisme,
l’esprit fondamental de la modernité, est déjà bien établi au Japon. La
recherche de thèmes libres dans le haïku est liée à l’individualisme et précède
le mouvement surréaliste en Europe. Dans le courant de pensée de l’époque, les
esprits en recherche de liberté entreprennent de remettre en cause l’idée
traditionnelle de la présence indispensable du mot de saison dans le haïku. En
fait, dans la prise de conscience du vécu, les mots de saison requis pour le
haïku semblent être des éléments artificiels. Il y a également un problème avec
les mots de saison dans le « rensaku
haiku ».
Dans les débuts du mouvement « Shinkô haiku », on compose beaucoup de « rensaku haiku ». Dans le rensaku, il arrive que
plusieurs mots de saison soient présents, ou bien aucuns. Cela fait naître des
arguments pour l’existence du « muki haiku « (haïku sans saison). Au
tout début du « Jiyuritsu haiku »,
considérant tous les éléments structurels du haïku, notamment les mots de
saison et la forme fixe, le mouvement accepte les haïkus sans saison, ainsi que
la destruction de la forme fixe. Par contre, pour le mouvement du « Shinkô haiku, la discussion se focalise
sur le mot de saison seul, et donc le haïku sans saison est accepté avec la
forme fixe.
4.3
Autres revues du mouvement du « Shinkô Haiku » - la période
principale (1930 -)
La revue Amanogawa, créée en 1918 et dirigée
par Zenjidô Yoshioka (1889-1961) est un autre espace de développement du
mouvement « Shinkô haiku »
en lien avec Ashibi. Amanogawa est aussi affiliée à Hototogisu, mais à partir de la fin
des années 1920, elle soutient le mouvement du « Shinkô haiku ». Dès 1935, Zenjidô soutient le mouvement
anti-traditionnel, mené à l’origine par Shûôshi, pour un haïku sans saison. Amanogawa
fait connaître des poètes tels que Hakkô Yokoyama (1899-1983) et Hôsaku
Shinohara (1905-1936), et forme un autre centre de modernisation du haïku.
La revue Kikan (créée en 1935), dirigée par Sôjô Hino, qui fait partie du comité
de sélection de Hototogisu, tend vers des thèmes libres et non conventionnels
de la littérature moderne, et mène le mouvement du haïku sans saison. Kakio
Tomizawa (1902-1962) écrit des haïkus exprimant la solitude de l’âme au-delà
des thèmes saisonniers. Il crée un style nouveau dans le haïku, lié à la poésie
moderne. Sanku Saitô (1900-1962), Saishi Kamio (1911-1997) et Tôshi Katayama
(1912-1944) publient aussi avec ce nouveau style dans Kikan.
Kyodai haiku, revue créée en 1933
par les groupes impliqués dans l’Université de Kyoto (Kyodai) est aussi
influencée, à l’intérieur du groupe de Hototogisu, par le modernisme et
accepte les haïkus sans saison. Parmi ses membres : Seitô Hirahata
(1905-1997), Hakubunchi Inove (1904-1945), Sayû Togô (1908-1991) et Eibô Nichi
(1910-1993). À côté de ceux-ci, des poètes non impliqués dans l’Université de
Kyoto rejoignent la revue : Sanki Saitô, Akira Mitani (1911-1978), Hakusen
Watanabe (1913-1969), Sôshû Takaya, Tatsunosuke Ishibashi et Toshio Mitsuhashi.
Kyodai
Haiku devient le nouveau soutien de la liberté dans le mouvement du
« Shinkô haiku ».
La revue Ku to Hyoron, créée en 1931 par
Jizôson Matsubara (1897-1973), Hatsumi Fujita (1905-1984) et Yôichiro Minato
(1900-2002) devient une revue de Shinkô
haiku vers 1935. Les plus connus de ses membres sont Hakusen Watanabe et
Genji Hosoya (1906-1970).
La revue Dojo,
créée en 1922, est dirigée par Seihô Shimada (1882-1944). Kayao Furuya
(1904-1083) et Kyôzô Higashi (1901-1977) y publient leurs haïkus sans saison.
Un malade des
poumons
Une luciole
venue d’un autre monde
éclaire sa main
Hakkô Yokoyama
La tête d’un
crapaud
pénètre le rêve
d’un malade du
typhus
Sayû Tôgo
4.4
« Ningen Tankyû-ha » (Ecole de la recherche humaine) (vers 1935)
Vers 1935 apparaît un groupe de haïku différent de
l’orientation des courants sociaux ou de l’expression artistique du
« Shinkô haiku », et qui se démarque du goût pour la nature et les
thèmes saisonniers des écoles traditionnelles. Leurs haïkus introduisent l’idée
nouvelle d’explorer l’être humain, mais ils sont difficiles à comprendre et à
apprécier. Hakyô Ishida et Shûson Katô, de la revue Shibi, et Kusatao Nakamura (1901-1983) de Hototogisu sont les
auteurs principaux de ces haïkus. En 1939, ils nomment leur groupe « Ningen Tankyû-ha » (école de recherche
humaine), selon les mots de Hakyô Ishida. Rinka Ôno (1904-1982), Tomoshi
Ishizuka (1906-1986) et Takeo Nakajima (1908-1988) publient des poèmes du même
esprit.
Les feuilles
continuent de tomber :
ne te hâte pas,
ne te précipite
pas !
Shûson Katô
4.5
Haïku prolétarien et Shinkô Haiku (1930-)
De la fin de la période Taisho au début de Showa, sous
l’influence du mouvement socialiste prolétaire en Russie et ailleurs, un
mouvement de haïku prolétarien voit le jour au Japon. En 1930, Issekiro
Kuribayashi et Mudô Hashimoto (1903-1974), ayant tous les deux quitté le groupe
de la revue Sôun, de Seissensui,
créent la revue Hata et publient
leurs haïkus prolétariens en forme de « Jiyuritsu haiku » (haïku de
forme libre). Du fait de la censure des autorités durant la période
d’avant-guerre, leur revue fusionne souvent avec une autre ou restreint sa
publication.
En 1934, le magazine du haïku prolétarien, Haiku Seikatsu, est créé et développe un
mouvement littéraire de gauche, critiquant le concept de « kachô
fuei » (beauté de la nature) de Hototogisu
comme une évasion de la réalité. Parmi les poètes de « Shinkô haiku »
de la même période, sous la bannière anti Hototogisu,
Genji Hosoya, Shunrei Hakadai et Kyôzô Higashi tentent de figurer la réalité et
soutiennent le haïku des travailleurs, reflet des difficultés de la vie
quotidienne.
Vomissement
de nuages de
fumée
sang noir
Takeji Ozawa
Les machines
réclament de
l’huile, la nuit
s’avance, tard
Rinji Yokoyama
4.6 Fin du movement du Shinkô Haiku (Haïku de
style nouveau) (1935-)
En 1936, ayant observé les courant actifs du mouvement pour
un haïku sans saison, Kyoshi expulse Zenjidô Yoshioka, Sôjô Hino et Hisajo
Sugita du groupe Hototogisu. D’autre
part, après le milieu des années 1930, Shûoshi, de la revue Ashibi, tente d’écrire des haïkus de
forme fixe avec des mots de saison et prend ses distances avec le mouvement du
haïku sans saison ; de ce fait, Sôshû Takaya et Tatsunosuke Ishibashi,
ainsi que d’autres poètes innovants, se retirent du groupe Ashibi.
Quand la guerre sino-japonaise commence en 1937, des poètes
de haïku comme Sosei Hasegawa (1907-1946), Kakio Tomizawa, Tôshi Katayama, Bojô
Uchida (1881-1946) et d’autres sont enrôlés. Des poètes du « Shinkô
haiku » et de Hototogisu
introduisent des thèmes de guerre dans leur haïku. Du mouvement du
« Shinkô haiku », Sanki Saitô et Seishi Yamaguchi lancent l’idée que
même les haïjins non enrôlés devraient écrire des haïkus de guerre, utilisant
leur imagination, et des haïkus sans saison anti-guerre
« senka-sôbô » (haïku de champ de bataille imaginaire) sont écrits
par des poètes non combattants.
De
la colline on voit
cette ville
mystérieuse
appelée le
« home front »
Hakusen Watanabe
Ayant tiré vers
le ciel
le canon du fusil
des prés
s’enfuit
Toshio Mitsuhashi
4.7
Haiku Jiken (Incidents dans le haïku) et fin du mouvement du « Shinkô
Haiku »
Suite à l’incident de Mandchourie (1931), le Japon prépare
la guerre avec la Chine (1937-) et la guerre du Pacifique (1941-1945). Satires
politiques et idées libérales sont exprimées dans le mouvement « Shinkô
haiku » de cette époque. Pendant la période de guerre, les autorités de
police suppriment toute expression libre de ce genre par les poètes de haïku.
Plusieurs incidents ont lieu à la suite desquels les principaux poètes de
l’école du « Shinkô haiku » sont arrêtés, l’un après l’autre, pour
violation de la loi de maintien de l’ordre public. D’abord, ce sont les
incidents du Kyodai Haiku (groupe de l’Université de Kyoto) au cours desquels
sont arrêtés Seitô Hirahata, Hakubunchi Inoue et Eibô Nichi. Ensuite on arrête
des poètes vivant à Tokyo : Tatsunosuke Ishibashi, Hakusen Watanabe, Akira
Mitani et Sanki Saïtô. Des « haiku jiken » ont lieu l’année suivante
(1941) avec l’arrestation des poètes du groupe Dojô (Seihô Shimada, Kayao Huruya et Kyozô Higashi), du groupe Ku to Hyôron (Hatsumi FUjita, Genji
Hosoya) et du groupe Haiku Seikatsu
(Issekiro Kuribayashi et Mudô Hashimoto).
La publication d’une anthologie de « Shinkô
haiku » est commencée en 1940, et au printemps de la même année est créée
la revue générale du mouvement du « Shinkô haiku » : Tenko. Mais la revue est contrainte
d’interrompre sa publication au troisième numéro. C’est ainsi que le mouvement
d’innovation dans le haïku, devenu puissant dans la première moitié du 20°
siècle, finit pas s’interrompre du fait des expériences durant la guerre.
Cependant, le « Shinkô haiku » a amené le haïku à un niveau poétique
qui exprime non seulement le « kachô fuei » (beauté de la nature)
mais aussi l’esprit humain, au niveau de la poésie moderne occidentale. Les
travaux de ce mouvement ont encore une large influence sur les poètes et les
lecteurs d’aujourd’hui.
Un doigt blessé
s’élève vers le
paradis
emporté par le
vent
Genji Hosoya
Guerre en vue
j’applaudis tout
du long
un match de boxe
Akira Mitani