TEXTE - Toshio KITAMURA,
Traduit en francais par Jean ANTONINI
Traduit en roumain par Valentin Nicoliţov
1 – Introduction
Le haïku japonais moderne a été modifié il y a cent ans.
Auparavant, c’était le haïkaï (versets composés entre plusieurs poètes ;
d’abord le hokku, 5-7-5, verset long, puis le wakiku, 7-7, verset court. Le
hokku fut séparé du haïkaï et devint un nouveau type de verset, pour un poète
seul. C’était l’entrée du Japon dans l’ère moderne et le haïku, avec ses
caractéristiques, a été changé pour s’adapter à l’époque moderne.
2 – Aube du haïku moderne japonais (1890 –
1900) (Shiki Masaoka et l’innovation dans le haïku.)
L’ère moderne japonaise commence avec le passage du pouvoir
entre le dernier Shôgun Tokugawa Yoshinobu et la cour impériale en 1867. C’est
la fin de la période Edo (1603-1868) et le début de l’ère Meiji (1868-1912).
C’est une période de changement radical, passage du féodalisme au capitalisme.
L’isolement japonais prend fin, les idées occidentales pénétrent d’un seul coup
dans le pays, et le Japon entier se jette dans une explosion culturelle à
travers la rapide modernisation et occidentalisation. Tandis que le système
politique se modifie profondément en quelques années, la vague de modernisation
atteint aussi le monde traditionnel du haïku.
Le haïku est alors le premier verset d’une poésie haïkaï et
s’appelle hokku. Au début de l’ère Meiji, le haïkaï traditionnel était pratiqué
sans grand changement par rapport à la période Tokugawa. Près de 200 ans
s’étaient écoulés depuis l’époque de Bashô, le grand poète de haïkaï de la
période Edo, et le haïkaï était devenu une poésie sans attrait, pleine
d’expressions banales au parfum artistique faible. Devant ce fait, Shiki
Masaoka (1867-1902) soutient une modernisation du haïkaï qui convienne au Japon
moderne.
Dans le milieu de l’ère Meiji, Shiki rejette le vieux style
haïkaï : il l’appelle tsukinami
haiku (haïku commun) et tente de le réformer. Il ressent les versets du
haïkaï traditionnel trop liés les uns aux autres, sans espace poétique entre
eux, et estime que cela n’est pas un style moderne. Il est arrivé que le hokku
soit utilisé comme verset indépendant durant l’ère Meiji ; Shiki supprime
intentionnellement les versets additionnels du haïkaï pour fonder un hokku
indépendant : poème d’une strophe (5-7-5), écrit en japonais sur une ligne
5-7-5, qui transforme le haïkaï en « haïku ». Alors que Bashô est
déjà idolâtré à cette époque, Shiki n’admire pas seulement Bashô mais tente de
mettre en valeur la diversité dans l’expression du haïku. Shiki souligne la
position objective de Buson, qui s’est épanouie une centaine d’années
auparavant.
Le Réalisme est devenu un courant de pensée parmi les
nouvelles idées venues d’Europe, et Shiki propose le concept de
« shasei » (croquis), tentant d’exprimer ses propres sensations dans
un croquis haïku. Shiki en vient à représenter le courant principal du haïku
durant la période Meiji. Le journal Nippon (Japon) est le bastion de
Shiki et de son école ; ils sont appelés « Nippon-ha » (École de Japon) et leur revue, Hototogisu, est publiée pour la
première fois en 1897. A travers le mouvement d’innovation de Shiki, le haïku
est transformé en une forme littéraire nouvelle, adaptée au Japon moderne de
l’ère Meiji, et il retrouve de la fraîcheur.
Tant de fois
je me suis
interrogé
sur la
profondeur de la neige
Un certain moine
était parti sans
attendre
l’apparition de
la lune
SHIKI Masaoka
3 – Développement du haïku moderne (1900 – 1928)
3.1
Shin-keikô Haiku » (le nouveau courant du haïku), Hekigotô Kawahigashi
(début 1900)
Après la mort de Shiki, Hekigotô Kawahigashi (1847-1937)
prend la direction des publications de haïku dans le journal Nippon,
tandis que la revue Hototogisu est dirigée par Kyoshi Takahama. Ces deux principaux
disciples de Shiki développent bientôt des idées différentes en matière de
haïku et empruntent des directions poétiques divergentes. Hekigotô ressent
l’importance de suivre un style personnel progressiste pour développer le haïku
de l’école de Shiki. Sa nouvelle façon tend à représenter un phénomène intime
par une expression subjective. Cette manière est très admirée, ainsi que
l’indique l’expression fréquente : « Sans nouveau courant de haïku,
pas de haïku. » Elle devient le style dominant durant la période
Meiji.
Plus tard, Hekigotô propose le « muchûshin haiku » (haïku sans centre d’intérêt) comme
le but poétique de son « Shin-keikô
haiku » (1910 -). Cependant, l’idée de mettre en doute l’existence du
centre ou du tout dans le haïku était trop précoce pour être comprise. Ce
« muchûshin haiku » rend
son style poétique difficile sans parvenir à une réalisation convaincante. Le
« Shin-keikô haiku »
décline au moment même de l’éclosion du nouveau « Jiyuritsu haiku » (haïku de forme libre) au début de l’ère
Taishô (1912-1926). Cependant, le « Shin-keikô haiku » incarne
l’attitude philosophique à laquelle Shiki adhérait : le haïku progresse en
s’écartant du style traditionnel.
Un camélia rouge
puis un camélia
blanc
tombe
Printemps froid…
nuages sans
racines au-dessus
des rizières
Hekigotô Kawahigashi
3.2
« Jiyûritsu Haiku » (Haïku de forme libre) (1910 -)
« Jiyûritsu Haiku » est une autre
réforme du haïku, une façon de s’étendre du « Shin-keikô haiku ». C’est la recherche d’une liberté de
l’esprit poétique du haïku, sans vouloir modifier les éléments traditionnels :
thèmes, forme fixe ou expressions littéraires anciennes.
Seisensui Ogiwara (1884-1976) fonde la revue de haïku Sôun
en 1911, avec Hekigotô, comme un journal de « Shin-keikô haiku ». Seisensui étudie alors la poésie
occidentale et pense à la suppression des thèmes conventionnels de saison, et
même de la forme fixe du haïku. En 1913, il se sépare du mouvement « Shin-keikô haiku » et recommande
le « Jiyûritsu haiku ».
Bientôt, la revue Sôun apporte un fort soutien au « Jiyûritsu haiku ».
Au début de la période Taisho (1912-1926), le groupe de
Kyoshi avait soutenu la forme fixe traditionnelle avec les mots de saison. Les
disciples poétiques de Seisensui, Santôka Taneda (1882-1940), Hôsai Ozaki
(1885-1926), Issekiro Kuribayashi (1894-1961) sont des poètes typiques du
« Jiyuritsu haiku ». Au même moment, Ippekiro Nakatsuka (1887-1946)
prend la direction de la revue de Hekigotô, Kaikô
(créée en 1915) et publie les familiers du « Jiyûritsu haiku ». Les œuvres de Santôka et de Hôsai, liées à
leur vie de vagabondage comme poètes ermites, sont encore aujourd’hui
populaires pour nombre de lecteurs.
Traversant le
ciel
si claire et
argentée
la lune seule
Seisensui Ogiwara
Malade, je sens
au-dessus de mon
futon
la mer bleue
d’hiver
Ippekirô Nakatsuka
3.3 « Kyakkan Shasei (croquis
objectif dans le haïku), Kyoshi Takahama et le haïku traditionnel (1915 -)
Le grand disciple poétique de Shiki, Kyoshi Takahama
(1874-1959), l’égal de Hekigotô, a pris la direction de Hototogisu, la revue du
groupe Nippon-ha. Mais, vers la fin
de l’ère Meiji, Kyoshi cesse d’écrire des haïkus et se passionne pour
l’écriture du roman et des croquis littéraires en prose. À l’époque, Hototogisu publie des romans de Sôseki Natsume et
ressemble davantage à une revue littéraire générale qu’à une revue de haïku.
Voyant que son rival, le « Shin-keikô
haiku » de Hekigotô devient si répandu dans tout le Japon, Kyoshi
renoue avec l’écriture du haïku en 1913, au début de la période Taishô, et
prend position pour la manière traditionnelle du haïku, en opposition au
nouveau style de Hekigotô.
En 1915, Kyoshi publie dans Hototogisu un essai en
épisodes : « La voie du haïku
à prendre », qui soutient son « Kyakkan shasei » (croquis objectif ou réaliste en haïku) et
suggère de définir le haïku comme une forme poétique fixe traditionnelle avec
les mots de saison. Brièvement, il poursuit un thème subjectif, tâtonnant vers
un nouveau style de haïku traditionnel, mais finalement, vers 1916, il s’arrête
au point de vue suivant : le « Kyakkan
shasei » devrait être un standard.
Malgré qu’elle
soit
nommée pivoine
blanche
un soupçon de
cramoisi
La lumière
d’hiver
posée sur mes
paupières
semble lourde
Kyoshi Takahama
3.4
Les avancées de Hototogisu (vers 1920)
Kyoshi étant occupé à écrire des romans, la section haïku de
Hototogisu
a été interrompue ; mais elle reprend dans la période Taishô alors que
Kyoshi revient au haïku. Les poètes Suiha Watanabe (1882-1946), Kijô Murakami
(1865-1938), Dakotsu Lida (1885-1962), Fura Maeda (1884-1954) et Sekitei Hara
(1886-1951) sont publiés dans Hototogisu à cette période et
écrivent des haïkus du point de vue traditionnel de l’école, en opposition au « Shin-keikô haiku ».
Dans le même temps, Hotogisu publie avec enthousiasme
les travaux de femmes poètes. Kanajo Hasegawa (1887-1969), Midorijo Abe
(1886-1980), Hisajo Sugita (1890-1946) et Shizumojo Takeshita (1887-1951)
apparaissent autour de 1920. Elles construisent la voie qui a conduit
l’écriture pleine de succès du haïku par des femmes.
Une abeille en
hiver
sans lieu pour
mourir
continue à errer
Kijô Murakami
Que mon visage
qui a vu les
fleurs de cerisier
soit frappé par
l’obscurité
Fura Maeda
3.5
« Kachô Fûei » (Haïku de la beauté de la nature) et les quatre S
(1926 -)
En 1928, début de l’ère Shôwa (1926-1989), Kyoshi défend le
« kachô fûei », en plus de
son style « kyakkan shasei ».
Dans le but de rendre clair le style du haïku traditionnel, il soutient que le
haïku devrait exprimer les phénomènes naturels produits par le changement des
saisons ou les affaires humaines liées aux saisons. À l’encontre de ce point de
vue, il y a eu de nombreux arguments pour le dépassement des thèmes en littérature :
les thèmes du haïku moderne ne doivent pas être restreints aux phénomènes liés
aux saisons. Malgré tout, l’idée que le haïku moderne devrait être un poème de
style traditionnel est devenue l’une des idées courantes dans le monde du haïku
jusqu’à aujourd’hui.
Les dix années qui commencent en 1925, fin de l’ère Taishô
et début de l’ère Shôwa, sont appelées « Période
des quatre S ». Les quatre S sont : Shuôshi Mizuhara (1892-1981),
Sujû Takano (1893-1976), Seiho Awano (1899-1992) et Seishi Yamaguchi
(1901-1994). En 1928, Seison Yamagushi (1892-1988) désigne ces poètes
actifs comme « les quatre S »
: « Il y a les deux S de Shûôshi et Sujû à l’est du Japon, et les deux
autres S de Seiho et Seishi à l’ouest. » A côté d’eux, Bôsha Kawabata
(1897-1941) et Takashi Matsumoto (1906-1956) sont actifs également.
Les haïkus de femmes poètes fleurissent aussi : Teijo
Nakamura (1900-1988), Tatsuko Hoshino (1903-1984), Takako Hashimoto (1899-1963)
et Takajo Mitsuhashi (1899-1972) sont appelées « Les quatre T ». Plusieurs revues de haïku sont créées par des
femmes, en association avec Hototogisu : Suimei (Kanajo Hasegawa, 1887-1969), Tamamo (Tatsuko Hoshino), Hana-goromo (Hisajo Sugita, 1890-1946), Komakusa (Midorijo Abe, 1886-1980), et
d’autres.
Katsushika –
une haie de pêchers aussi
le long de la
rizière
Shûôshi Mizuhara
Comme je vais en
chemin
la rosée tombe
sur moi –
fleurs de kudzu Takako Hashimoto
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